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Réinventer l’actuariat à l’ère de l’intelligence artificielle : un plan d’action pour la profession

ActIA

Résumé exécutif

Le secteur de l’assurance entre dans une ère de mutation sans précédent. L’irruption de l’intelligence artificielle (IA) bouleverse en profondeur ses fondements économiques, opérationnels et humains. L’automatisation des tâches analytiques, la modélisation prédictive et la prise de décision algorithmique reconfigurent le cœur même du métier actuariel.

Alors que l’IA devient le moteur central de la tarification, de la gestion du risque et de la relation client, une question fondamentale s’impose : quelle sera la place de l’actuaire dans un monde où les algorithmes calculent plus vite, plus précisément et à moindre coût ?

La profession actuarielle, pilier historique de la stabilité financière et de la confiance assurantielle, se trouve face à un double impératif : préserver sa légitimité scientifique et réinventer sa valeur stratégique. Cette transformation n’est pas une menace inéluctable, mais une opportunité de repositionnement profond. Les acteurs capables d’intégrer l’IA comme levier d’augmentation — et non de substitution — consolideront leur rôle au sein d’un écosystème en recomposition.

Les signaux sont déjà visibles. Accenture a récemment engagé une restructuration de grande ampleur, supprimant plus de 12 000 postes pour accompagner l’automatisation induite par l’IA. Dans le secteur assurantiel, les grands groupes comme AXA, Generali ou Covéa exploitent désormais l’intelligence artificielle pour personnaliser les offres, détecter la fraude ou anticiper les sinistres climatiques. Ces transformations accélèrent la mutation des fonctions à forte intensité analytique. L’actuaire, figure clé de la rationalité financière, ne peut y échapper.

Ce rapport propose une lecture stratégique de cette évolution. Il s’appuie sur une analyse de la transformation du métier, des technologies sous-jacentes, des scénarios prospectifs à horizon 2035 et des leviers d’action pour préserver la résilience de la profession. L’enjeu n’est pas de survivre à l’IA, mais de construire l’actuariat augmenté — un modèle combinant rigueur mathématique, intelligence de la donnée et gouvernance éthique.

1. Une mutation technologique et humaine sans précédent

L’intelligence artificielle redéfinit les contours de la performance dans les services financiers. Ses capacités d’analyse à grande échelle, d’apprentissage continu et d’automatisation des tâches cognitives s’étendent désormais à toutes les étapes de la chaîne de valeur assurantielle : souscription, tarification, sinistres, relation client, conformité.

Les transformations structurelles s’accélèrent sous l’effet conjugué de trois dynamiques :

Cette transition ne se limite pas à une transformation technologique ; elle constitue une redéfinition du travail intellectuel. Dans un environnement où la valeur est produite par la vitesse et la précision du calcul, l’actuaire doit redéfinir son avantage comparatif.

2. L’actuariat au cœur de la transformation du secteur assurantiel

Traditionnellement, l’actuaire incarne la rationalité statistique et la fiabilité financière. Il mesure, anticipe et mutualise le risque. Mais les avancées de l’intelligence artificielle (IA) génèrent désormais des modèles capables d’effectuer ces mêmes tâches — parfois avec un degré de précision supérieur.

Les grands assureurs ont déjà franchi le pas :

Ces exemples illustrent un mouvement profond : l’IA se substitue progressivement aux méthodes actuarielles traditionnelles. La segmentation des risques, la tarification et même la gestion des sinistres deviennent des domaines d’application privilégiés des modèles d’apprentissage automatique.

Cependant, cette mutation ne signifie pas la disparition de l’actuaire. Au contraire, elle crée un besoin accru de supervision, de validation et d’interprétation. Le défi central est de maintenir l’équilibre entre efficacité algorithmique et confiance sociétale.

3. De la technique au leadership : le nouvel espace de valeur de l’actuaire

À mesure que les algorithmes gagnent en autonomie, la valeur ajoutée de l’actuaire se déplace vers trois dimensions essentielles :

  1. La gouvernance des modèles.
    L’actuaire devient le garant de la robustesse, de la transparence et de la traçabilité des algorithmes utilisés. Dans un contexte réglementaire marqué par le RGPD et l’AI Act européen, cette fonction de supervision humaine est stratégique.
  2. L’arbitrage éthique.
    Les décisions fondées sur l’IA posent des questions de biais, d’équité et de discrimination. L’actuaire doit être capable d’évaluer les implications sociales d’un modèle, au-delà de sa performance statistique.
  3. La traduction stratégique.
    L’actuaire doit évoluer vers un rôle de “data leader”, capable d’interpréter les résultats de l’IA pour les dirigeants, les régulateurs et les clients. Sa mission devient moins de calculer que d’orienter, moins de modéliser que de décider.

Ainsi se dessine une nouvelle figure : celle de l’actuaire augmenté, à la croisée de la data science, de la régulation et de la stratégie.

Exhibit 1 — Résilience du métier d’actuaire selon trois scénarios prospectifs (2035)

ReduMetier

Le radar ci-dessus illustre l’évolution du rôle de l’actuaire selon trois scénarios prospectifs à horizon 2035 :

La résilience actuarielle repose sur deux leviers :

4. Trois trajectoires possibles à horizon 2035

À partir de ces scénarios, trois trajectoires se dessinent pour la profession actuarielle :

4.1. Scénario optimiste : l’actuaire augmenté

L’actuaire devient un acteur stratégique de la gouvernance de l’IA. Les outils prédictifs amplifient sa capacité à anticiper les risques, tandis qu’il conserve la supervision et la décision finale. La profession s’élargit vers des fonctions de direction des risques, de stratégie et de conformité.

4.2. Scénario réaliste : l’équilibre fragile

Les tâches analytiques sont partagées entre IA et humains. Les actuaires conservent leur rôle de contrôle et de validation, mais voient leur périmètre réduit. Les écarts de compétences deviennent déterminants : seuls ceux qui maîtrisent la data science et la communication stratégique maintiennent leur influence.

4.3. Scénario pessimiste : l’actuaire marginalisé

Les assureurs s’appuient quasi exclusivement sur des modèles automatisés. La supervision humaine est minimale, la responsabilité se dilue. L’actuaire perd sa légitimité historique et devient un simple opérateur de conformité.

5. Conditions de réussite et plan d’action pour la décennie à venir

La transition vers l’actuariat augmenté exige une approche systémique, impliquant à la fois les professionnels, les entreprises et les régulateurs.

Pour les actuaires

Pour les entreprises d’assurance

Pour les régulateurs

Conclusion — Agir dès aujourd’hui pour maîtriser l’avenir du risque

L’intelligence artificielle ne signe pas la fin de l’actuariat. Elle en marque la renaissance.

Les actuaires qui sauront conjuguer expertise mathématique, compréhension algorithmique et sens éthique deviendront les architectes de la confiance à l’ère de la donnée.

La profession se trouve à un carrefour historique. Si elle reste immobile, elle risque d’être absorbée par l’automatisation. Si elle se transforme, elle peut redevenir un pilier de la gouvernance du risque, dans un monde où la complexité croît plus vite que les certitudes.

La mutation est en marche. Le choix appartient désormais aux acteurs du secteur : subir la disruption ou la diriger.

Le moment d’agir, c’est maintenant.

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